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« Le Web3 est devenu le symbole de l’économie créative où chacun peut espérer vivre de sa création » – Eric Briones, Directeur Général du Journal du Luxe, est notre invité du mois

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Nous avons eu l’honneur d’échanger avec Eric Briones, notre invité du mois. Auteur de « Luxe & Digital II », Directeur Général du Journal du Luxe, co-fondateur de la Paris School of Luxury et Planneur Stratégique pour Darkplanning, nous avons partagé avec lui autour de l’enjeu de la création de contenu 3.0 pour les marques de luxe. Ici, on parle Web3, intelligence artificielle, métaverse, ou encore GenZ.

Vous venez de publier une nouvelle version de votre livre Luxe et Digital. Dans cette réédition, vous vous focalisez davantage sur la relation entre luxe et intelligence artificielle.
Pour commencer, il y a un débat aujourd’hui sur l’appartenance ou non de l’intelligence artificielle au sein du Web3. Qu’en pensez-vous ?

Il y a des batailles de spécialistes sur la définition du Web3 mais je dirais que le cœur c’est :
La blockchain,
Les NFT,
Le metaverse.

Je trouve donc que joindre l’intelligence artificielle au Web3 est opportuniste !

En termes d’utilisation, l’IA a réussi à faire en quelques jours ce qu’aucun metaverse ou NFT n’a réussi de façon aussi forte : toucher le grand public. Quand Monsieur Tout-le-monde est sur ChatGPT, il comprend tout de suite à quoi ça sert ! Il n’en va pas de même pour la blockchain ou les NFT. En termes de bénéfices consommateur, la valeur du Web3 peut être difficilement saisissable.

Pour moi, le Web3 est donc davantage un média de niche. Le luxe l’a compris avant tout le monde et l’utilise en tant que tel !

 

Et pourquoi les marques de luxe sont finalement les mieux placées pour s’emparer de ce sujet du Web3 ?

Parce que le luxe y a cru et y croit encore !

J’ai écrit Luxe et Digital en 2016. À l’époque, le luxe était ringard en digital ! Mais il en avait conscience et il a travaillé dessus, il s’est battu. La révolution digitale du luxe a eu lieu pendant le « monde covid », quand les boutiques étaient fermées. Les marques ont alors compris que 95 % du parcours client dans le domaine du luxe est influencé par le digital.

Le luxe a donc vu le Web3 avec gourmandise et a investi dedans !
Regardez ces chiffres du Comité Colbert et du BCG : En 2022, 51 % des maisons de luxe avaient un projet NFT et 50 % un projet metaverse[1]. C’est absolument gigantesque ! Aucun autre secteur ne va aussi loin.

Cette gourmandise se prolonge aujourd’hui avec l’intelligence artificielle. Le luxe réfléchit sur l’IA en termes de puissance créative. On voit la naissance d’un « luxe surhumain » où l’artisan peut trouver dans l’IA et la réalité augmentée une extension de lui-même pour aller encore plus loin !

©LVMH

On parle également beaucoup « d’expériences » dans ce contexte du Web3. Quel rôle peuvent-elles jouer dans le domaine du luxe ?

Je pense au partenariat de Louis Vuitton avec Unreal Engine 4, le nouveau moteur graphique, qui permet notamment de créer un metaverse de défilé. Vous pouvez vivre le défilé de l’intérieur, de façon fantasmatique ! Vous entrez dans le lieu avec votre personnage, vous voyez les objets représentés… c’est un défilé réinventé, gamifié, graphiquement immersif.
L’idée c’est d’utiliser ces expériences non pas pour le « commun des mortels », mais en « clienteling » sur certains clients !

Je trouve que la promesse des metaverses est extraordinaire en tant que communiquant : donner vie à sa plateforme de marque. C’est le rêve de tout communiquant ! Pour moi, le metaverse, c’est comme bâtir une « cathédrale de marque ».
Et c’est là que l’intelligence artificielle est intéressante ! Avec l’IA, le paradigme de la création devient beaucoup plus simple : la création de lieux est facilitée, les PNG sont enrichis… C’est un accélérateur de la créativité sur le metaverse !
Mais peu de marques se sont emparées du sujet. Il y a eu quelques expériences, comme avec Nikeland, mais ça ne va pas plus loin.

 

Enjeu plus qu’actuel sur le domaine de la création de contenu, comment les marques de luxe peuvent-elles exploiter le Web3 ? 

Le Web3 est devenu le symbole de l’économie créative où chacun peut espérer vivre de sa création parce qu’elle est présente sur la blockchain ou sous forme de NFT, avec des revenus issus de ces formes.
Dans cette démarche de niche, vous pouvez produire du contenu dans une dimension « club », uniquement accessible via des NFT qui donnent ensuite accès à d’autres services !
Donc le Web3 peut être intéressant pour monnayer son contenu, à condition d’avoir une communauté extrêmement précise et de développer un contenu extrêmement pointu.

Le secteur du luxe utilise également les NFT et la blockchain comme des « passeports produits » afin de montrer la vie du produit.
Aujourd’hui, le luxe est obsédé par la notion de « quiet luxury ». C’est donc extrêmement difficile de communiquer sur la qualité. Ça ne se montre pas la qualité, ça se vit !
Loro Piana se sert donc de la blockchain pour mettre ses produits complètement à nu et démontrer leur qualité extraordinaire.

Autre intérêt du Web3 pour les entreprises de luxe : l’écologie. Ce qui peut paraître paradoxal par rapport aux consommations énergétiques de la blockchain et du metaverse, même s’il y a beaucoup d’efforts qui sont faits. Mais au-delà de ça, le luxe a besoin du digital pour démontrer que le greenwashing n’a pas sa place dans ce secteur ! Le Web3 doit jouer un rôle de certification des engagements écologiques du luxe.

L’idée, c’est donc d’avoir une transparence mesurable, tout en gardant un storytelling unique et fort.

C’est une vision très réaliste et pragmatique qui me fait dire : « Heureusement que le luxe est là pour sauver le soldat Web3 ! ».

 

Vous mentionnez l’écologie, qui représente un engagement fort pour la génération.
Mais d’ailleurs, pourquoi GenZ et marques de luxe, c’est un match ?

J’ai un chiffre clé : le premier achat de luxe chez les millennials, c’était à 20 ans ; chez la GenZ, c’est 15 ans.
La force du luxe, c’est d’être obsédé par la jeunesse !
Par exemple, Pharrell Williams qui devient directeur artistique de Louis Vuitton, c’est un message envoyé à la Gen Z. Parce que même s’il a 50 ans, Pharrell Williams est transgénérationnel.

Parlons de TikTok ! Aujourd’hui, c’est LE lieu du contenu et de l’inspiration, qu’on l’aime ou qu’on ne l’aime pas. TikTok entraine de nouvelles formes de storytelling, de nouveaux styles graphiques, de nouvelles tendances émergentes… Et je suis fasciné par la capacité du luxe à comprendre les codes de TikTok, à les détourner et à en faire sien. En témoignent des comptes fabuleux comme ceux de Miu-Miu, Jacquemus, Louis Vuitton, Dior, Balenciaga…
Ça montre à quel point la GenZ est une obsession pour le luxe !

Et on est sur un amour réciproque !
Au-delà des secteurs jeunes par nature comme le gaming, je pense que le luxe est le secteur ayant le mieux compris la GenZ.

Et puis, quand vous visez la Gen Z, vous visez aussi les parents de la Gen Z ! Comme la jeunesse est la valeur pilier de notre civilisation, quand vous arrivez à séduire la Gen Z, vous séduisez également les parents et les grands parents qui vont avec…

©AlloCiné

Dans de nombreuses stratégies de contenu Web3 du luxe, l’art a une place toute spéciale. Comment expliquer cela ?

Effectivement, aujourd’hui le domaine du luxe s’étend à travers l’art, l’entertainment, le cinéma : Saint Laurent a créé sa propre société de production et était partout à Cannes cette année ; le deuxième héros de la série « Succession », ce sont les habits Loro Piana…
Le luxe est donc arrivé à un point extraordinaire où il est quasiment un objet d’art !

Et l’association du luxe et de l’art est un mariage heureux pour les deux.
Le monde de l’art trouve le plus grand des mécènes dans le luxe. Aujourd’hui Hollywood vit une crise grave. Forcément, les capitaux du luxe l’intéressent.
Et pour le luxe, l’art est tout bénéfique ! Quand vous avez près de 3 millions de nouveaux sac Louis Vuitton qui sont vendus chaque année, la rareté devient rare ! L’art permet donc de réinitier de la rareté.

Enfin, comme je l’ai dit, 95 % du parcours client luxe est influencé par le digital. Le luxe doit donc dompter l’algorithme. Et la culture, l’art et l’entertainment sont meilleurs moyens de casser l’algorithme !

©PAPER Magazine

Tous les matins, vous postez sur LinkedIn votre billet « IL EST HUITOR, MONSEIGNOR » qui analyse les stratégies de contenu de l’univers du luxe. Quelle autre tendance vous semble particulièrement pertinente pour le monde du luxe ?

 Je pense à la tendance surréaliste qui utilise justement l’IA et la VR. Jacquemus par exemple et ses citrons géants qui envahissent Paris ou ses sacs en guise de voitures !
Comme je le disais, le « quiet luxury » est une autre grande tendance actuelle, mais ça peut être considéré comme ennuyant… C’est pour ça que j’aime beaucoup ce surréalisme qui colle parfaitement aux codes de TikTok et Instagram !
Parce que finalement, quelle est la promesse du Web3 d’un point de vue poétique ? C’est la création de nouveaux mondes. Et ce surréalisme permet de créer de nouveaux mondes sans attendre l’avènement des metaverses !

[1] Luxury Outlook 2022 – Avancer en pionnier responsable, BCG & Comité Colbert, 2022, https://www.comitecolbert.com/app/uploads/2022/06/redaction-rapport-comite-colbert-v11-hi-res.pdf